
La géothermie, source d’énergie renouvelable exploitant la chaleur terrestre, connaît un développement accéléré dans le contexte de transition énergétique mondial. Face à cette expansion, les questions juridiques entourant la protection et l’exploitation des ressources géothermiques deviennent fondamentales. Entre régimes miniers traditionnels et nouveaux cadres spécifiques, les systèmes juridiques s’adaptent progressivement aux particularités de cette énergie. La nature transfrontalière des réservoirs géothermiques, les risques environnementaux associés et la concurrence avec d’autres usages du sous-sol complexifient davantage l’encadrement légal. Cette analyse examine les fondements, évolutions et défis de la protection juridique des ressources géothermiques dans un paysage énergétique en mutation.
Fondements juridiques de la qualification des ressources géothermiques
La protection juridique des ressources géothermiques repose avant tout sur leur qualification au sein des différents ordres juridiques. Historiquement, ces ressources ont souvent été traitées par défaut dans le cadre du droit minier, faute de régime spécifique. Cette assimilation s’explique par la nature souterraine des gisements géothermiques, partageant certaines caractéristiques avec les ressources minérales traditionnelles.
En France, le Code minier a longtemps constitué le cadre de référence, définissant les gîtes géothermiques comme « les gîtes renfermés dans le sein de la terre dont on peut extraire de l’énergie sous forme thermique ». Une distinction fondamentale a été établie entre haute et basse température, déterminant le régime applicable. La réforme du Code minier de 2021 a maintenu cette approche tout en modernisant certains aspects.
Au niveau international, les approches varient considérablement. Les systèmes juridiques de common law ont généralement privilégié une approche fondée sur les droits de propriété, rattachant souvent les ressources géothermiques au propriétaire du sol selon le principe « cujus est solum, ejus est usque ad coelum et ad inferos« . À l’inverse, les pays de tradition romano-germanique ont davantage développé des régimes de domanialité publique, considérant ces ressources comme appartenant à l’État.
Entre ressource minière et ressource énergétique
La qualification juridique des ressources géothermiques oscille entre deux conceptions principales. D’une part, une vision minière, centrée sur l’extraction d’une substance du sous-sol, d’autre part, une conception énergétique, axée sur la valorisation de la chaleur. Cette dualité influence profondément les régimes de protection.
La Directive européenne 2009/28/CE sur la promotion des énergies renouvelables reconnaît explicitement l’énergie géothermique comme une source d’énergie renouvelable, la définissant comme « l’énergie emmagasinée sous forme de chaleur sous la surface de la terre solide ». Cette reconnaissance au niveau européen a contribué à faire évoluer les cadres juridiques nationaux vers une meilleure prise en compte des spécificités géothermiques.
Plusieurs pays ont développé des législations spécifiques, comme l’Islande avec le Geothermal Energy Act ou la Nouvelle-Zélande avec le Resource Management Act, reconnaissant pleinement l’unicité de cette ressource. Ces cadres juridiques dédiés permettent une protection plus adaptée aux enjeux particuliers de l’exploitation géothermique.
- Qualification minière : régime d’autorisation/concession, redevances extractives
- Qualification énergétique : intégration aux politiques d’énergies renouvelables, tarifs de rachat
- Qualifications mixtes : combinaison d’aspects miniers et énergétiques
La tendance actuelle montre une évolution vers des régimes juridiques hybrides, reconnaissant la double nature des ressources géothermiques. Cette approche permet d’adapter la protection juridique aux multiples facettes de cette énergie et aux différents types d’exploitation, de la très basse à la haute température.
Régimes d’autorisation et de concession : protection par le contrôle d’accès
Le contrôle de l’accès aux ressources géothermiques constitue un pilier central de leur protection juridique. Les régimes d’autorisation et de concession représentent les mécanismes principaux par lesquels les États encadrent l’exploration et l’exploitation de ces ressources. Ces dispositifs visent à garantir une utilisation rationnelle et durable tout en préservant les intérêts publics.
En France, le système distingue traditionnellement les gîtes selon leur température. Pour la géothermie de haute température (supérieure à 150°C), le régime des concessions s’applique, accordant des droits exclusifs d’exploitation sur un périmètre défini pour une durée limitée, généralement plusieurs décennies. Pour la basse température, un régime d’autorisation préalable est prévu, avec des procédures administratives allégées mais maintenant un contrôle étatique.
Le décret n°2019-1518 du 30 décembre 2019 a modifié ce cadre en introduisant une troisième catégorie, la géothermie de minime importance, soumise à une simple déclaration préalable lorsqu’elle est réalisée dans des zones vertes sans risques identifiés. Cette gradation des régimes permet d’adapter le niveau de contrôle aux risques potentiels et aux enjeux de l’exploitation.
Procédures d’obtention et garanties exigées
Les procédures d’obtention des autorisations et concessions jouent un rôle déterminant dans la protection effective des ressources. Elles comportent généralement plusieurs phases, incluant des études préliminaires, des consultations publiques et des évaluations d’impact environnemental.
La notice d’impact environnemental constitue un élément central de ces procédures. Elle doit détailler les caractéristiques du projet, analyser ses effets sur l’environnement et proposer des mesures d’atténuation. Pour les projets d’envergure, une étude d’impact complète peut être exigée, incluant des modélisations hydrogéologiques et thermiques du réservoir.
Les autorités compétentes exigent généralement des garanties financières pour assurer la remise en état des sites après exploitation. Ces garanties financières peuvent prendre diverses formes (cautionnements bancaires, assurances spécifiques) et visent à prévenir l’abandon de sites dégradés en cas de défaillance de l’exploitant. Elles constituent un mécanisme préventif de protection environnementale.
Dans plusieurs juridictions, comme en Italie ou aux Philippines, des systèmes de mise en concurrence ont été mis en place pour l’attribution des droits d’exploration et d’exploitation. Ces mécanismes visent à sélectionner les projets offrant les meilleures garanties techniques, financières et environnementales, renforçant ainsi la protection des ressources.
- Critères techniques d’évaluation des demandes
- Obligations de suivi et de reporting pendant l’exploitation
- Conditions de renouvellement ou de transfert des titres
La tendance actuelle montre un renforcement des exigences préalables à l’obtention des autorisations, avec une attention accrue portée aux aspects environnementaux et à la durabilité des projets. Cette évolution reflète la prise de conscience croissante des enjeux de préservation à long terme des ressources géothermiques.
Protection environnementale des écosystèmes géothermiques
L’exploitation des ressources géothermiques, bien que considérée comme une énergie renouvelable, n’est pas exempte d’impacts environnementaux. La protection juridique de ces ressources intègre nécessairement une dimension environnementale forte, visant à préserver l’intégrité des écosystèmes géothermiques et à prévenir les dommages potentiels.
Les principaux risques environnementaux associés à l’exploitation géothermique incluent les émissions de gaz (notamment H₂S, CO₂, radon), la contamination des aquifères, les mouvements de terrain et la sismicité induite. Les cadres juridiques modernes intègrent ces risques spécifiques dans leurs dispositifs de protection, imposant des obligations de prévention, surveillance et réduction des impacts.
Le droit européen de l’environnement joue un rôle structurant dans ce domaine. La Directive 2011/92/UE relative à l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement impose une évaluation préalable pour les forages géothermiques profonds. De même, la Directive-cadre 2000/60/CE sur l’eau établit des obligations de protection des masses d’eau souterraines potentiellement affectées par les projets géothermiques.
Cas particulier des zones géothermiques remarquables
Certains écosystèmes géothermiques présentent une valeur écologique ou patrimoniale exceptionnelle. Ces zones géothermiques remarquables, comme les geysers, sources chaudes naturelles ou champs fumeroliens, font l’objet de protections juridiques renforcées dans plusieurs pays.
En Nouvelle-Zélande, le Wai-O-Tapu Thermal Wonderland bénéficie d’un statut de protection spécifique, limitant strictement les activités d’exploitation énergétique à proximité. De même, aux États-Unis, le Yellowstone National Park et ses caractéristiques géothermiques uniques sont protégés par une législation fédérale interdisant tout forage géothermique dans un large périmètre autour du parc.
Ces régimes de protection spéciale reconnaissent la valeur intrinsèque de ces écosystèmes au-delà de leur potentiel énergétique. Ils illustrent l’évolution du droit vers une approche plus holistique, intégrant des considérations de biodiversité, de patrimoine naturel et de services écosystémiques.
La Convention de Ramsar sur les zones humides reconnaît désormais explicitement certaines zones géothermiques comme des écosystèmes à protéger, notamment lorsqu’elles abritent des microorganismes extrêmophiles présentant un intérêt scientifique majeur ou des espèces endémiques adaptées à ces milieux particuliers.
- Mécanismes de zonage et de protection spatiale
- Régimes d’études d’impact renforcés pour les zones sensibles
- Obligations de surveillance environnementale continue
L’équilibre entre exploitation énergétique et protection environnementale constitue un défi majeur du droit des ressources géothermiques. Les cadres juridiques les plus avancés tentent d’établir une hiérarchisation des usages et des zones, réservant certains espaces à la conservation pure tout en permettant une exploitation raisonnée dans d’autres secteurs.
Dimension internationale et transfrontalière de la protection
La nature même des ressources géothermiques, souvent situées dans des aquifères ou des formations géologiques traversant les frontières nationales, soulève des questions juridiques complexes en matière de protection internationale. La gestion transfrontalière de ces ressources nécessite des mécanismes de coopération spécifiques pour éviter les conflits d’usage et garantir une exploitation durable.
Contrairement à d’autres ressources naturelles, il n’existe pas de convention internationale dédiée spécifiquement à la protection des ressources géothermiques. Leur encadrement juridique au niveau international repose sur des principes généraux du droit international de l’environnement et des ressources naturelles, comme le principe de l’utilisation non dommageable du territoire ou celui de l’utilisation équitable et raisonnable des ressources partagées.
Plusieurs accords bilatéraux ou régionaux ont néanmoins été conclus pour gérer spécifiquement certains réservoirs géothermiques transfrontaliers. L’accord entre la France et la Suisse concernant le projet d’exploitation géothermique dans la région de Genève (projet GEothermie 2020) constitue un exemple de coopération transfrontalière structurée, établissant des mécanismes de consultation, d’échange d’informations et de partage équitable des bénéfices.
Mécanismes de coopération internationale
Face à l’absence d’un cadre global, différents mécanismes de coopération se sont développés pour faciliter la protection coordonnée des ressources géothermiques. Ces dispositifs visent principalement à harmoniser les approches réglementaires, partager les connaissances scientifiques et techniques, et résoudre pacifiquement les différends potentiels.
L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a créé un programme de coopération technologique spécifique, l’Implementing Agreement for a Cooperative Programme on Geothermal Energy Research and Technology. Ce cadre facilite l’échange de bonnes pratiques réglementaires entre pays membres et promeut des standards communs de protection des ressources.
Au niveau européen, la directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables encourage la coopération transfrontalière pour les projets géothermiques. Elle permet notamment des mécanismes de soutien conjoints entre États membres et la reconnaissance mutuelle des autorisations administratives.
Dans certaines régions du monde, des organismes spécialisés ont été créés pour coordonner la protection et l’exploitation durable des ressources géothermiques. Le Centre africain pour l’énergie géothermique (AGCE), établi sous l’égide de l’Union Africaine, illustre cette approche régionale coordonnée, particulièrement pertinente pour la vallée du Rift africain, riche en potentiel géothermique partagé entre plusieurs pays.
- Accords de partage d’information et de données scientifiques
- Mécanismes conjoints d’évaluation des impacts environnementaux
- Procédures de consultation préalable pour les projets à proximité des frontières
La jurisprudence internationale reste limitée concernant spécifiquement les ressources géothermiques, mais les principes dégagés dans des affaires relatives à d’autres ressources naturelles partagées, comme l’affaire du Lac Lanoux entre la France et l’Espagne ou l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), fournissent des orientations pertinentes pour la gestion transfrontalière de la géothermie.
Enjeux économiques et valorisation juridique de la ressource
La protection juridique des ressources géothermiques ne peut être dissociée des mécanismes économiques qui encadrent leur valorisation. Les dispositifs juridico-économiques jouent un rôle déterminant dans l’orientation des investissements et la pérennité des projets, influençant directement la préservation à long terme de la ressource.
Les mécanismes de soutien financier constituent un premier levier d’action. De nombreux pays ont mis en place des systèmes d’incitation spécifiques pour la géothermie, comme les tarifs d’achat garantis de l’électricité géothermique, les compléments de rémunération, ou les certificats verts. En France, l’arrêté tarifaire du 23 juillet 2010, puis celui du 13 décembre 2016, ont établi un cadre économique favorable au développement de la filière, avec des contrats d’achat sur 20 ans.
Parallèlement, des fonds de garantie spécifiques ont été créés pour couvrir le risque géologique inhérent aux projets géothermiques. Le Fonds de Garantie Géothermie français, géré par la SAF Environnement, illustre ce type de mécanisme. En mutualisant les risques d’échec des forages, ces dispositifs favorisent une approche plus durable de l’exploitation, évitant les abandons prématurés de projets face aux aléas techniques.
Fiscalité et redevances spécifiques
Les régimes fiscaux applicables aux ressources géothermiques constituent un aspect majeur de leur encadrement économique et juridique. La conception de ces régimes influence directement les comportements des opérateurs et leur approche de la ressource.
De nombreux pays ont instauré des redevances spécifiques liées à l’exploitation géothermique. Ces prélèvements peuvent être calculés sur différentes bases : superficie concédée, quantité d’énergie produite, volume de fluide extrait, ou combinaison de ces facteurs. En Islande, le système de redevances est progressif, augmentant avec l’intensité de l’exploitation, créant ainsi une incitation économique à la modération des prélèvements.
Les incitations fiscales jouent également un rôle significatif. Crédits d’impôt, amortissements accélérés pour les équipements géothermiques, ou exonérations temporaires sont autant de leviers utilisés pour orienter les investissements vers des pratiques durables. Aux États-Unis, le Production Tax Credit et l’Investment Tax Credit ont considérablement stimulé le développement de projets géothermiques respectueux des ressources.
La question de la propriété des sous-produits de l’exploitation géothermique fait l’objet d’approches juridiques variées. Certaines législations, comme celle de la Nouvelle-Zélande, accordent explicitement à l’exploitant géothermique des droits sur les minéraux dissous extraits avec les fluides (lithium, manganèse, etc.), sous réserve de redevances spécifiques. Cette approche encourage la valorisation intégrée de la ressource, limitant le gaspillage.
- Systèmes de quotas et permis négociables d’exploitation
- Mécanismes d’assurance obligatoire contre les dommages environnementaux
- Fonds de recherche et développement financés par les redevances
L’évolution récente des cadres économico-juridiques montre une tendance à l’intégration croissante des coûts environnementaux externes dans les mécanismes de valorisation. Cette internalisation des externalités vise à aligner les intérêts économiques des exploitants avec les objectifs de protection à long terme de la ressource géothermique.
Perspectives d’évolution du cadre juridique face aux innovations technologiques
Le cadre juridique de protection des ressources géothermiques se trouve confronté à un défi majeur : s’adapter aux avancées technologiques rapides qui transforment le secteur. Les innovations techniques ouvrent de nouvelles possibilités d’exploitation mais soulèvent simultanément des questions juridiques inédites qui nécessitent une évolution des dispositifs de protection.
La géothermie profonde stimulée (EGS – Enhanced Geothermal Systems) représente l’une des avancées les plus significatives. Cette technologie, qui consiste à fracturer artificiellement des roches profondes peu perméables pour créer des réservoirs géothermiques, soulève des questions juridiques spécifiques. Le cadre réglementaire doit désormais intégrer la gestion des risques sismiques induits, comme l’a montré l’expérience du projet Deep Heat Mining à Bâle (Suisse), suspendu suite à des secousses sismiques.
Les technologies de stockage thermique souterrain (ATES – Aquifer Thermal Energy Storage) posent quant à elles la question du statut juridique des aquifères utilisés alternativement comme source et comme réservoir d’énergie. Plusieurs pays comme les Pays-Bas ont dû adapter leur législation pour encadrer ces usages cycliques qui ne correspondent ni à une extraction pure ni à une injection simple.
Vers une approche intégrée des usages du sous-sol
Face à la multiplication des usages du sous-sol, une tendance émergente consiste à développer des approches juridiques intégrées, considérant l’ensemble des utilisations potentielles dans un cadre cohérent. Cette évolution répond à la nécessité de gérer les conflits d’usage et les interactions entre différentes exploitations.
Le concept d’aménagement du sous-sol ou « underground planning » gagne en importance dans plusieurs juridictions. À l’image de l’Ontario (Canada) qui a adopté en 2020 un cadre pionnier de planification tridimensionnelle intégrant explicitement les ressources géothermiques dans une vision globale du sous-sol urbain. Cette approche permet d’arbitrer entre les usages concurrents (géothermie, stockage de CO₂, exploitation minière, infrastructures souterraines) selon des critères objectifs.
La question des distances de sécurité entre installations géothermiques et autres usages du sous-sol fait l’objet d’une attention croissante. La Bavière (Allemagne) a ainsi développé un système de zonage géothermique qui définit des périmètres de protection autour des installations existantes, limitant les nouvelles exploitations susceptibles d’interférer thermiquement ou hydrauliquement avec les premières.
L’émergence de technologies de monitoring en temps réel des réservoirs géothermiques ouvre la voie à des approches réglementaires plus dynamiques. Certains cadres juridiques évoluent vers des systèmes d’autorisations adaptatives, où les conditions d’exploitation peuvent être ajustées en fonction des données de surveillance continue. Le Nevada (États-Unis) expérimente ce type d’approche flexible pour les projets géothermiques dans le bassin de Dixie Valley.
- Développement de cadastres souterrains tridimensionnels
- Mécanismes d’arbitrage entre usages concurrents du sous-sol
- Systèmes d’autorisation évolutifs basés sur le monitoring
La convergence entre géothermie et autres technologies énergétiques pose également de nouveaux défis juridiques. Les systèmes hybrides combinant géothermie et solaire thermique, ou les projets de récupération de lithium à partir des saumures géothermiques, comme dans la Vallée de l’Imperial en Californie, nécessitent des cadres juridiques adaptés, intégrant à la fois les aspects énergétiques, miniers et environnementaux.
Vers une gestion participative et territorialisée des ressources géothermiques
L’évolution récente du droit des ressources géothermiques révèle une tendance marquée vers des approches plus participatives et territorialisées. Cette transformation répond à une double exigence : adapter les cadres juridiques aux spécificités locales des gisements et intégrer les parties prenantes dans les processus décisionnels pour garantir une protection plus effective.
La décentralisation des compétences de gestion constitue une première manifestation de cette tendance. Dans plusieurs pays, les autorités régionales ou locales se voient attribuer un rôle croissant dans la régulation des ressources géothermiques. En Italie, la réforme constitutionnelle de 2001 a transféré aux régions la compétence principale en matière de géothermie de basse et moyenne enthalpie, permettant l’émergence de cadres réglementaires adaptés aux contextes géologiques et socio-économiques locaux.
Les mécanismes de consultation publique se renforcent également, dépassant les simples enquêtes publiques traditionnelles. Des dispositifs plus élaborés de participation citoyenne se développent, comme les conférences de consensus mises en œuvre en Suède pour certains projets géothermiques urbains. Ces processus permettent d’intégrer les préoccupations des populations locales dès la conception des projets et d’adapter les mesures de protection en conséquence.
Gouvernance multi-niveaux et protection adaptative
L’émergence d’une gouvernance multi-niveaux des ressources géothermiques représente une innovation juridique significative. Ce modèle articule différentes échelles d’intervention (locale, régionale, nationale, internationale) selon le principe de subsidiarité, attribuant la compétence au niveau le plus approprié pour chaque aspect de la protection.
Le cas de l’Islande illustre cette approche intégrée, avec un partage des responsabilités entre l’Autorité nationale de l’énergie (Orkustofnun), qui définit les cadres généraux et attribue les licences principales, et les municipalités, qui disposent de pouvoirs étendus en matière d’aménagement et d’intégration territoriale des projets. Cette articulation permet une protection adaptée aux enjeux locaux tout en maintenant une cohérence nationale.
La notion de contrat de ressource gagne du terrain dans plusieurs juridictions. Ces instruments négociés entre autorités publiques, exploitants et représentants des communautés locales établissent des engagements réciproques adaptés aux spécificités du territoire. Au Kenya, dans la région de Olkaria, de tels contrats intègrent des clauses spécifiques concernant le partage des bénéfices avec les communautés Maasaï et la protection des manifestations géothermiques traditionnellement valorisées par ces populations.
L’approche territorialisée se manifeste également par l’émergence de schémas directeurs géothermiques à l’échelle des bassins. Ces documents de planification, comme ceux développés dans la région Auvergne-Rhône-Alpes en France, intègrent une cartographie des potentiels, des usages existants et des zones sensibles, permettant une vision prospective de la gestion de la ressource.
- Mécanismes de redistribution locale des redevances géothermiques
- Comités locaux de suivi et de surveillance des exploitations
- Intégration des savoirs traditionnels dans la gestion des ressources
Cette évolution vers une gestion plus participative s’accompagne d’une reconnaissance croissante des droits des peuples autochtones sur les ressources géothermiques situées sur leurs territoires traditionnels. La Nouvelle-Zélande a développé un cadre juridique novateur reconnaissant les intérêts des Maoris sur les ressources géothermiques, notamment à travers le Waikato Regional Geothermal Plan qui intègre explicitement les valeurs culturelles et spirituelles associées aux manifestations géothermiques dans les critères de protection.
Défis et opportunités pour un cadre juridique résilient
L’avenir de la protection juridique des ressources géothermiques se dessine à travers plusieurs défis majeurs et opportunités d’innovation. Pour construire un cadre véritablement résilient, capable d’accompagner le développement durable de cette énergie, plusieurs axes de transformation se dégagent.
Le premier défi concerne l’harmonisation des cadres juridiques à différentes échelles. La fragmentation actuelle des approches légales crée des incertitudes pour les opérateurs et peut conduire à une protection inégale des ressources. L’initiative de l’International Renewable Energy Agency (IRENA) visant à élaborer des lignes directrices communes pour la régulation géothermique représente une avancée significative. Ces principes directeurs, sans être contraignants, offrent un référentiel partagé qui favorise la convergence progressive des législations nationales.
La prise en compte des effets cumulatifs constitue un autre défi majeur. Les cadres juridiques traditionnels, focalisés sur l’évaluation projet par projet, peinent à appréhender les impacts combinés de multiples exploitations sur un même réservoir ou bassin géothermique. Des juridictions pionnières comme la Californie ont commencé à intégrer des mécanismes d’évaluation des effets cumulatifs, exigeant une modélisation globale du système géothermique avant toute nouvelle autorisation dans des zones déjà exploitées.
Vers une protection juridique dynamique et adaptative
Face aux incertitudes scientifiques persistantes concernant le comportement à long terme des réservoirs géothermiques, l’évolution vers des cadres juridiques plus adaptatifs apparaît nécessaire. Le concept de gestion adaptative, déjà appliqué dans d’autres domaines du droit de l’environnement, trouve une pertinence particulière pour les ressources géothermiques.
Cette approche se traduit par l’intégration de clauses de révision périodique des autorisations en fonction des données de suivi, comme le pratique désormais l’Oregon (États-Unis) pour ses permis géothermiques. Elle implique également le développement d’indicateurs de performance environnementale spécifiques à la géothermie, permettant d’évaluer objectivement la durabilité des exploitations et d’ajuster les exigences réglementaires en conséquence.
L’émergence des contrats géothermiques intelligents (smart contracts) basés sur la technologie blockchain représente une innovation prometteuse. Expérimentés dans certains projets pilotes aux Pays-Bas, ces dispositifs permettent d’automatiser certaines obligations réglementaires (limitation des débits d’extraction, ajustements des redevances) en fonction de données de monitoring en temps réel, renforçant l’effectivité des mesures de protection.
La question de la réversibilité des usages géothermiques gagne en importance dans les débats juridiques contemporains. Comment garantir qu’un réservoir exploité aujourd’hui reste disponible pour les générations futures? Certaines législations commencent à intégrer des exigences de réversibilité, imposant des techniques d’exploitation qui préservent le potentiel régénératif de la ressource. La loi géothermique japonaise révisée en 2018 intègre explicitement ce principe, exigeant des plans d’exploitation qui maintiennent l’équilibre thermique des réservoirs.
- Développement de systèmes d’alerte précoce juridiquement encadrés
- Mécanismes de responsabilité adaptés aux dommages à long terme
- Intégration des scénarios climatiques dans la planification géothermique
Enfin, l’articulation entre protection des ressources géothermiques et objectifs climatiques constitue un enjeu croissant. Les cadres juridiques évoluent vers une reconnaissance explicite de la contribution de la géothermie aux stratégies de décarbonation, tout en veillant à ce que son développement accéléré ne compromette pas la durabilité des réservoirs. Le plan géothermique allemand de 2020 illustre cette approche intégrée, établissant des objectifs quantifiés de déploiement tout en renforçant les exigences de monitoring et de protection des ressources.
La construction d’un cadre juridique résilient pour les ressources géothermiques nécessite une approche équilibrée, capable d’encourager leur valorisation énergétique tout en garantissant leur préservation à long terme. Cette double exigence appelle à poursuivre l’innovation juridique, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales et en anticipant les défis futurs liés à l’intensification de l’exploitation de cette ressource stratégique.